PÉRIGNAC : PAICHEL ET LES ATLANTES

Le Grand Superviseur de la cité de Mu opina d’une large signe de tête avant de dire :

- Oui, le fait qu’il demeure le seul témoin de notre ancien monde lui donne un pouvoir terrible sur les grands-prêtres qui sont fascinés par l’ancien et puissant seigneur fruitier d’Arkara. Les écrits laissés par les premiers atlantes sont déjà contestés depuis qu’Alba a formé secrètement une secte composée de grands-prêtres et de citoyens qui préfèrent placer leur foi dans cet homme. Tous les premiers arkariens sont morts. Même s’ils disaient la vérité, placez-vous dans la peau d’un Atlante qui veut vivre éternellement. Vous réaliserez combien il est facile pour Alba de le confronter à cette question aussi simple que : “Si ces maîtres avaient raison et pas moi, pourquoi sont-ils morts et pas moi?”

- Ainsi, Alba finira par détruire la réputation de ceux qui l’ont enfermé dans une tour en arrivant sur terre? C’est cela, Gitonial?

- Oui, c’est plus que possible. Il faut trouver un moyen de raviver la foi des Atlantes et surtout mettre en garde les jeunes contre les mensonges d’un homme qui a fait périr les habitants de la grande cité de verre à cause de ses ambitions.

- C’est par cet élixir que l’ancien seigneur arkarien compte manipuler ses adeptes?

- Je ne sais pas Paichel; c’est une probabilité.

- Et en ce qui me concerne, pourquoi cet homme m’aurait-il offert ce petit vin au goût de citron, alors?

- Voila, je vais vous le dire. Dans nos écrits laissés par le maître Anakilimon, le missionnaire attendu sera le père d’Atlantin.

- Mais qui est donc le père d’Atlantin?

- Mercéür, maître vigneron. Il travaillait pour Alba dans les vastes vignes et vergers d’Atlantis.

- Vous me troublez beaucoup car j’ai entendu Alba prononcer ce nom lorsque j’étais vraiment ivre.

-Vous voyez bien que nos écrits ne mentent pas au sujet du missionnaire qui sera le père d’Atlantin? Alba vous a simplement reconnu et c’est pour cela qu’il fut si généreux avec ses vins. Il a tenté de vous rappeler ce nom de Mercéür pour des raisons que j’ignore. Alba sait sans doute que vous êtes ce missionnaire et veut par conséquent compromettre votre mission de paix en vous rappelant votre ancienne vie.

- Donc je serais l’âme de Mercéür? C’est fascinant!

-Oh! Mais c’est surtout dangereux. Alba n’a pas de véritables amis mais des admirateurs. Ne vous laissez pas prendre dans son jeu, Paichel. Vous êtes le père d’Atlantin et je vous demande humblement de songer aux milliers d’êtres qui sont morts dans la cité de verre à cause de celui qui était votre patron à cette époque. Vous êtes mort comme les autres citadins au cours de ce cataclysme provoqué par Alba et ses complices. Selon nos écrits historiques, Mercéür ne faisait pas partie du complot pour prendre le contrôle de la planète. Je vous le dis avant que des scrupules vous hantent inutilement. Votre relation avec Alba ne dura que le temps où vous demeuriez à Atlantis. On vous décrit comme le “soûlard” des grands vignobles communautaires. Alba était votre patron et vous, le meilleur vigneron du pays. C’est pour cela que ce seigneur aimait bien boire en votre compagnie afin de discuter joyeusement des nouveaux vins. Alba se fiait à votre jugement même s’il vous détestait à cause de vos abus d’alcool. Les grands-prêtres voulaient vous aider en vous envoyant travailler dans les champs de blé, justement pour vous éloigner des “tentations”. Malheureusement, votre bon patron ne tenait pas à voir partir son maître vigneron. Vous étiez souvent ivre et Alba devait vous cacher chaque fois que les religieux venaient aux vignobles pour voir comment allait le soûlard. Ne croyez pas que ceux-ci vous jugeaient pour vos abus d’alcool. Ils voulaient simplement vous éloigner d’un patron et d’un mauvais tuteur qui racontait à qui voulait l’entendre les dernières beuveries de son fils adoptif. C’est lui qui vous désignait ainsi. Les écrits officiels disent simplement que Mercéür travaillait pour Alba. Lorsqu’il perdit son poste de Grand Administrateur des vergers et vignobles d’Atlantis, il vous oublia très vite.

- Donc, j’étais un soûlard?

- C’est ce que racontent nos écrits historiques. Je ne sais pas pourquoi votre âme s’est incarnée sur terre, mais vous êtes Mercéür.

- Je comprends tout à présent, lui dit Paichel en souriant. Je suis le père d’Atlantin et c’est pour cette raison que c’est à moi qu’on a confié cette mission. Je dois donc parler à mon fils? C’est étrange comme le monde est petit!

Il faut savoir que Paichel était le genre d’homme qui ne s’étonne de rien. Le fait d’apprendre qu’il serait l’âme d’un arkarien lui faisait drôlement plaisir. Puis, de se retrouver ensuite dans une situation où il reverrait un fils de soixante-douze ans bien sonné, alors que lui-même donnait l’impression d’en avoir cinquante ne le dérangeait pas du tout. Dans une situation cocasse et étrange, Paichel savait garder la tête froide.

Le Grand Superviseur de Mu apprit de Paichel que le projet d’Atlantin mettait en péril la paix de l’île. - Vous ne pourrez jamais convaincre Atlantin d’abandonner son projet. Pour lui, la construction d’un temple à Raya est une question de survie, dit Gitonial au missionnaire déçu. Ne croyez pas que je défende Atlantin. Je suis de son avis sans plus. Ce temple va rappeler au peuple qu’il vient d’Arkara. Au temps du prophète Kanapyra et des autres pionniers venus de cette planète, il fut relativement facile de vivre avec les souvenirs d’un monde disparu. Personne n’avait à prouver quoi que se soit sur son existence réelle. C’est très différent aujourd’hui puisque les nouvelles générations n’ont jamais vécu sur Arkara, jamais connu les premiers guides atlantes comme les maîtres Anakilimon, Adep, Kanapyra, Adamas et tous les survivants de la cité détruite. Atlantin et moi, sommes les seuls à pouvoir encore nous rappeler ce monde. Je dois avouer cependant que ni Atlantin, ni moi-même n’avons connu le fameux canton d’Atlantis. Nous sommes nés dans la cité de verre et nous étions très jeunes lorsque Primus Tasal nous fit traverser un grand couloir afin de trouver refuge sur Terre. Beaucoup de Muriens pensent que je suis le véritable fils de Kanapyra, anciennement connu sur Arkara par Kana, celui qui fait apparaître des petits feux en imposant les mains. De là lui vient son nom de Kana... Pyra (feu). Je considérais Kanapyra comme mon véritable père puisqu’il m’adopta en arrivant sur cette île. Ma mère qui me tenait dans ses bras, mourut deux jours après notre arrivée. C’est Kana qui demanda à devenir mon père adoptif. Lorsqu’il partit un jour vers une terre appelée Égypte, c’est son frère jumeau qui s’occupa de mon éducation. Lorsque je fus assez grand pour me débrouiller seul, Anakilimon se retira dans une caverne afin d’y écrire ses mémoires. On l’appelait l’ermite car il passa le reste de ses jours dans cette caverne de glaise. De là son nom de Anak... et limon (glaise). On en a fait Anak-i-limon.

- Atlantin est venu sur terre, accompagné de sa mère n’est-ce pas?

- Vous vous rappelez son nom?

- Oh! J’avoue ne plus m’en souvenir. Je suis l’âme de Mercéür, pas l’esprit de cet homme n’est-ce pas!

- Est-ce que le nom de Rosia vous rappelle quelque chose?

- Un visage, je vois un joli visage mais c’est peut-être juste une idée que je me fais d’elle après tout!

- Oh! Rosia était très belle. Atlantin lui ressemble beaucoup.

- Il ne possède aucun trait de son père?

- Si, le bas du corps et les yeux enjoués de Mercéür. C’est du moins ce que lui disait sa mère lorsqu’il tentait de se souvenir de son père. Atlantin n’avait que quelques années lorsqu’il arriva sur Terre.

- Rosia est décédée depuis longtemps?

- Depuis quarante ans environ. Elle parlait souvent de vous... enfin, de Mercéür.

- Du soûlard, se contenta de répondre Paichel qui avait le coeur gros.

- Rosia n’employait jamais ce mot pour vous désigner. Elle disait toujours : “Mon charmant absent”. Il semble que vous étiez un genre de marchand et que les affaires semblaient vous préoccuper plus que votre famille.

- Oh! Je devrais sourire vous savez car il n’y a pas beaucoup d’humains qui connaissent l’origine de leurs tendances naturelles. Je sais maintenant pourquoi j’aime tant le vin et pourquoi je deviens excité en voyant de l’or. Je parie que Mercéür aimait l’or autant que moi?

- Je ne sais vraiment pas si cet arkarien aimait l’or. Il aimait marchander comme beaucoup de citadins. Il faudrait sans doute le demander à votre fils!

- Mon fils? Oui, bien sûr...

Gitonial respectait trop les écrits de Mu pour interdire à Paichel le droit de parler à Atlantin. Il savait que ce missionnaire allait tenter de le convaincre d’abandonner son projet à Raya, mais connaissant fort bien l’architecte, c’était peu probable qu’il y parvienne. Le Grand Superviseur lui dit tout de même avant de le faire accompagner au temple de cristal : “Je suivrai les conseils d’Atlantin s’il décide de vous obéir. Je vous rappelle que Raya est devenue une terre sacrée pour les Atlantes et que mon peuple n’acceptera pas de laisser ce trésor entre les mains des Géants. Depuis la découverte de ce fragment d’Arkara, nous avons repris nos livres anciens afin de les étudier avec soin. Les jeunes s’intéressent à cette pierre dorée, tout comme les grands-prêtres historiens, scientifiques, archéologues et spécialistes astrologues. Si Poséidon désire nous faire quitter l’île en laissant derrière nous la seule preuve de notre histoire arkarienne, c’est la mort qu’il nous demande. Nous voulons la paix et la fraternité entre les Atlantes et les tribus de l’île mais pas au prix d’abandonner un site que nous comptons habiter dès que le temple y sera bâti par Atlantin.”

Le Grand Superviseur de Mu baissa les yeux en ajoutant : “Nous n’avons plus de planète. C’est sur la pierre de Raya que nous aurions bâti notre cité si nous avions découvert ce site avant la construction de Mu. Nous laisserons Pya et Mu aux géants s’ils acceptent de nous céder Raya.” Cette fois, c’est Paichel qui baissa les yeux puisqu’il avait vécu assez longtemps dans une tribu primitive pour savoir qu’un lieu sacré ne peut jamais être négociable. Les géants croyaient fermement que le soleil leur avait laissé un gage de son amitié en jetant cette pierre ronde sur terre. Ainsi, aucun Atlante ne pouvait ébranler leur foi. En deux mots, pour obtenir Raya, les étrangers devaient tenter de s’en emparer par la ruse ou par la guerre.

Le temple de cristal était rond comme une demie-coquille d’oeuf. Les Muriens possédaient des techniques particulières pour polir les pierres et les rendre aussi lisses que le miroir. La jolie structure brillait au centre de la cité, entourée par quatre vastes bâtiments rectangulaires, devant lesquels se dressaient d’immenses statues d’animaux. La première que vit Paichel l’impressionna au premier coup d’oeil. Elle représentait la tête d’un aigle royal. Une autre montrait un vieux renard édenté, puis celle d’une magnifique licorne ailée. Juste devant la porte du temple de cristal se dressaient deux statues identiques. Elles représentaient les jumeaux Kanapyra et Anakilimon. Sous le bras droit de Kanapyra on pouvait remarquer un oeuf argenté, symbole du monde. Comme on disait que ce jumeau avait le pouvoir de créer du feu, Paichel en conclu que l’oeuf était non seulement le symbole du monde mais celui de la Vie. Le Feu est le maître de la vie. Sous le bras gauche de l’autre statue se trouvait un livre fermé. On représentait souvent Anakilimon de cette manière. On sait qu’il a écrit plusieurs manuscrits atlantes et surtout fabriqué un immense coffre en or massif dans lequel cet ermite rangea un miroir fantastique et mêmes des parchemins.

Le missionnaire se retrouva bientôt dans un grand hall vide, où l’écho de ses pas résonnait sur les parois lisses de l’intérieur du temple. La voûte, très haute et baignée par la lumière du jour, donnait au visiteur cette nette impression de se trouver au coeur d’un cristal. Puisque les Atlantes aimaient les couleurs, un ingénieux système d’eau colorée faisait le tour du grand hall. On aurait dit des centaines de tubes transparents remplis individuellement par une eau de couleur différente. Comme ces tubes s’entrecroisaient en triangles, losanges, carrés, cercles, rectangles et autres figures géométriques, cela donnait un effet extraordinaire. L’eau circulait dans tous les tubes en formant des milliers de bulles. Paichel monta ensuite un long escalier en tire-bouchon et se retrouva dans une salle remplie de plans d’architecture. Il y avait au moins cinquante tables alignées au centre de la pièce et quelques milliers de croquis de temples éparpillés sur celles-ci. Un homme s’approcha lentement de l’inconnu en lui tendant amicalement les mains.

- Je vous salue étranger ; soyez le bienvenu dans mon atelier de travail.

- Atlantin? , demanda Paichel en lui souriant.

- Lui-même! Gitonial m’a demandé de vous recevoir car sans quoi, je vous avoue que j’aurais refusé de le faire. Personne n’entre normalement dans mon atelier. Le Grand Superviseur m’a laissé sous-entendre que mon projet pourrait nuire à la paix que nous espérons maintenir avec les géants et les pêcheurs de l’île? J’avoue en être franchement étonné.

- Je vous en prie, je ne suis pas ce monstre qui cherche à dévorer vos ambitions, lui répondit Paichel. Je ne suis qu’un pauvre missionnaire et rien de plus. J’ai dit que Poséidon désire voir les Atlantes quitter l’île avant que naissent de graves conflits avec les autres habitants de l’île. Les géants ont déjà entrepris des pourparlers avec les pêcheurs dans le but de s’allier contre votre peuple. Il ne faut pas bâtir ce temple à Raya.

- Et si je le fais bâtir?

- Hé bien, les géants comprendront qu’il s’agit d’une profanation pure et simple de leur lieu sacré.

L’architecte prit un long respire avant de répondre :

- Cette pierre est encore plus sacrée pour les Atlantes.

- Wais, je le sais parfaitement et c’est pour cela que je me sens si mal dans ma peau de bête, sacré-nom-d’un-chien! Croyez-vous que je sois l’ennemi des Atlantes? Ma tâche était de vous dire que Poséidon provoquera de grands malheurs si votre peuple demeure sur cette île. C’est tout!

- Pouvez-vous répéter le début de votre phrase?

- Le début?

- Vous avez dit : Wais?

- Peut-être bien, mais pourquoi me demandez-vous cela?

- Ma mère me disait que c’était le patois de mon père.

Après un long silence, Atlantin lui dit :

- Je m’étais pourtant promis de ne pas vous croire lorsque vous viendriez me voir en prétendant être mon père. J’ai lu les écrits qui concernaient cette rencontre que je ferais un jour avec le missionnaire de Poséidon. Je viens de vous entendre exprimer un juron qui fut, d’ailleurs, les derniers mots prononcés par mon père. Il aurait dit à ma mère en lui souriant tristement : “Tu dois quitter la cité avec Atlantin sans chercher à me convaincre de vous suivre. Wais, c’est ce que mon coeur me demande de te dire”.

- Votre mère vous parlait de votre père très souvent?

- Oh! Elle disait qu’il était un brave marchand. Il vendait des poules, des lapins et surtout des chiens. Il les dressait si bien qu’ils dansaient sur les tables pour amuser les passants. J’ai su par ma mère que les citadins se plaignaient souvent des chiens qui les volaient avant de retourner auprès de mon père. Il s’amusait à les vendre et surtout à les revendre plusieurs fois.

- On appelle cela voler les gens, lui dit Paichel d’un air embarrassé. Ainsi, votre père dressait des chiens qui devaient dérober des objets à leurs nouveaux maîtres avant de revenir chez lui?

- C’est un peu cela. Il abusait les citadins de cette façon et se faisait abuser par d’autres marchands. C’était ainsi qu’on concevait les affaires à cette époque.

Paichel fixait Atlantin au point de le dévisager. L’autre lui dit d’un air agacé:

- Non, je ne suis pas votre fils car je vous aurais reconnu.

- Est-ce que vous pouvez voir mon âme? C’est elle qui ressemble à votre père et non mon corps actuel. Je suis Fontaimé Denlar Paichel avec l’âme de Mercéür.

- Je vous en prie, cessons ce jeu inutile. J’avoue avoir été emporté par votre patois et je m’en excuse. De toute manière, je ne crois pas à la transmigration des âmes.

C’est alors que Paichel revit l’image du berceau le hanter de nouveau.

- Je vois Mercéür penché au-dessus du berceau de son fils Atlantin.

- De grâce, s’il s’agit de trouver un moyen de m’émouvoir à nouveau, je dois vous dire que tous les Atlantes savent que j’ai hérité de l’unique berceau d’Arkara, puisque ma mère fut la première femme enceinte dans la nouvelle cité.

- Je n’en suis pas vraiment surpris ; votre père était toujours vite en affaires!

- Je pense que mon père a été le premier à boire une boisson qui troublait les sens. Après lui, d’autres fautifs en firent autant et leurs femmes devinrent enceintes. On dit que mon père aurait reçu cette potion sexuelle du seigneur Alba.

- Pauvres femmes!, s’exclama Paichel en bouffant de rire.

- Pourquoi riez-vous ?

- Je préfère ne pas commenter l’image qui vient de surgir de ma mémoire.

- Vous pensez pouvoir vous rappeler votre vie antérieure, si j’admets en toute réserve qu’elle pourrait exister ?

- Il s’agit de ma vie intérieure, c’est-à-dire celle de mon âme. Je pense qu’elle tient à éveiller en moi des souvenirs. Je vois encore ce fichu berceau que je fais bercer sans arrêt. Cette image m’obsède et cherche à me faire comprendre un autre message.

- Si vous tenez tant à voir ce berceau fictif, je vais vous montrer le vrai. Ainsi, vous pourrez peut-être découvrir ce message?

- Peut-être bien! Je vois de nouveau cet objet que je fais bercer lentement. Il est vide mais je semble l’examiner attentivement. J’aimerais bien savoir pourquoi?

L’objet était conservé dans une galerie souterraine de Mu. L’unique berceau arkarien valait aux yeux des Atlantes autant qu’un joyau royal. Il ne faut pas oublier qu’il fut la propriété du prophète Kanapyra avant d’appartenir à la famille de Mercéür. Ainsi, Atlantin invita Paichel à le suivre aux souterrains où des centaines de gardiens surveillaient les longs corridors cylindriques. Ceux-ci faisaient quelques soixante-dix kilomètres sous la cité et débouchaient tout près de Raya. On peut s’imaginer quel plan avaient adopté les Atlantes pour se rendre dans cette région sans se faire remarquer des géants. En plus d’être simple, ce projet d’invasion de Raya comportait des avantages énormes. Atlantin dit à son invité qui le suivait craintivement dans l’un des corridors humides :

- D’ici cinq ans, nous aurons entièrement contrôlé cette région en creusant plusieurs galeries sous la pierre. Nous avons étudié le sol de Raya et les résultats de nos analyses nous permettent de croire que nous pourrons faire disparaître ce fragment de notre planète dans un lac souterrain.

- Mais ce temple que vous vouliez bâtir?

- Il sera souterrain ; nous le bâtirons près du lac. Ne souriez pas, nous sommes en train d’agrandir cette nappe d’eau située sous Raya et lorsqu’elle sera assez large, nous creuserons simplement sous la pierre. Les géants verront alors leur pierre sacrée disparaître dans le sol sans qu’ils puissent intervenir.

- C’est malhonnête!

- Non, ingénieux comme plan. Nous ne pourrons jamais négocier quoi que se soit au sujet de cette pierre et nous ne sommes pas disposés à faire la guerre. Un conflit nous entraînerait dans une situation où les Atlantes et les tribus de l’île perdraient toute opportunité de vivre en paix. Le mieux est de reprendre ce qui nous appartient sans provoquer la colère des géants. Ils se diront que la terre a dévoré leur présent et que les Atlantes ont également disparus de leur île.

- Oh! Si je comprends bien, les Atlantes vont tenter de vivre sous terre?

- Nous avons déjà développé un système de serres qui nous permettront de cultiver tout ce que nous désirons. Nous rebâtirons une cité autour de la pierre et nous nous ferons vite oublier par les tribus qui habitent sur l’île. Poséidon veut nous voir quitter son île pour éviter des conflits avec ses habitants. Je ne pense pas qu’il s’objectera à nous laisser vivre sous terre si nous laissons nos cités et nos champs aux populations de O.

- Atlantin, vous êtes un génie dangereux. Je sais à présent pourquoi Poséidon veut vous faire quitter l’île. Je croyais qu’il favorisait les géants et les pêcheurs mais c’est son île qu’il veut protéger contre des “rongeurs”. Oui, c’est exactement ça que vous faites en creusant tous ces tunnels qui affaiblissent le sol de ce continent. Croyez-moi, j’ai la certitude que les Atlantes n’obtiendront que l’effondrement de l’île.

- Allons donc, vous semblez ignorer que nous ne creusons aucun tunnel avant d’avoir étudié la structure et la solidité de son sol.

- Hé bien, un jour ou l’autre, vous finirez par être des petits rats de souterrains!

Paichel était sérieux en disant cela mais Atlantin se contenta de lui dire ironiquement: “C’est possible puisque les Atlantes aiment bien le fromage!”

Si des centaines de souterrains furent creusés à mains d’homme pendant une centaine d’années, les nouveaux corridors ne prenaient que quelques semaines à être réalisés. C’est que les Atlantes utilisaient un nouveau rayon, capable de creuser en un instant, un trou de dix mètres de circonférence par quatre de profondeur en quelques minutes seulement! Ce rayon portait le nom évocateur de : mange-pierre. Il pulvérisait des centaines de tonnes de roches en poussière et celles-ci étaient ensuite utilisées pour cimenter les galeries souterraines. On n’avait pas encore entrepris les travaux d’excavation autour de Raya car les scientifiques de Mu travaillaient à mettre au point un mange-pierre encore plus puissant. Il devait, en principe, pouvoir pratiquer un trou de cent mètres de circonférence par vingt de profondeur.

Paichel se retrouva dans une voûte très haute et très épaisse. C’est là qu’on y conservait plusieurs écrits Atlantes et le fameux berceau d’Atlantin. Deux gardiens firent signe au missionnaire d’approcher d’un objet recouvert d’une couverture de jute. Celle-ci était une autre relique du grand maître Kanapyra. En voyant le berceau, le missionnaire s’écria :

- C’est lui, je le reconnais!

- Je vous en prie, ne criez pas ainsi Paichel, se contenta de répondre Atlantin en fixant l’objet d’un air nostalgique.

- Je me souviens pourquoi je m’amusais à le faire bercer, s’exclama Paichel d’une voix excitée. Je venais de trouver des jolies pierres exotiques dans la gueule de l’un de mes chiens et je voulais les cacher dans un endroit sûr. Si vous défaites le fond du berceau, Atlantin, vous y trouverez un sac de petites pierres roses à l’odeur de... voyons, souviens-toi de cette odeur Paichel.

- Assez, vous dépassez les limites de ma tolérance, étranger, s’écria l’architecte d’un air indigné. Il n’est pas question d’abîmer ce berceau pour vous faire plaisir.

- Je vois, c’est cette peur de devoir vous retrouver face-à-face avec votre père qui vous effraie? Parfait alors!

D’un geste rapide, Paichel empoigna le berceau et arracha le plancher de celui-ci avant qu’on puisse se saisir de lui. Un sac tomba sur le sol et des petites pierres roulèrent devant Atlantin. Aussitôt, tous les gardiens s’agenouillèrent pour les ramasser. Pourtant, dès qu’ils furent assez près pour les sentir, des larmes s’écoulèrent de leurs yeux. Un homme s’écria : “Ne les touchez pas ; ce sont des graines de futures fleurs de cristal.” Atlantin était si ému qu’il se jeta dans les bras de Paichel en gémissant : “Père, vous avez retrouvé les graines de notre salut!”

En effet, Mercéür avait découvert dans la gueule d’un chien les dernières graines de cristal encore vivantes d’Arkara. Il faut savoir que les Arkariens cultivaient des fleurs de cristal dans leurs jardins familiaux. Lorsque certains citoyens cessèrent de les entretenir avec amour en les arrosant chaque jour, ils perdirent leurs droits. Ces fautifs furent justement les habitants de la cité de verre. Dans un manuscrit écrit de la main du Maître Lemu, celui-ci racontait avoir suivi les fautifs dans cette cité sans pour autant perdre ses droits. Il voulait dire simplement qu’il possédait toujours sa fleur magique. Lorsque des grands-prêtres accompagnèrent les fautifs dans leur exode, ils conservèrent leurs graines de cristal dans une jarre et cachèrent celle-ci sous le temple de la cité. Un chien s’introduisit malheureusement dans cette cachette et brisa le pot en pensant y trouver de la nourriture. Il avala toutes les graines et retourna voir son maître Mercéür. Lorsque celui-ci vit l’animal régurgiter ces pierres, il s’empressa de les nettoyer et de les cacher dans le berceau de son fils Atlantin. Ces petites graines appartenaient donc aux grands-prêtres de la cité Souvenance. Pour les Atlantes, ces reliques prouvaient, sans l’ombre d’un doute, l’authenticité de ce culte des fleurs de cristal, raconté dans les livres sacrés de Mu.

- Paichel, dit l’architecte en tenant ces pépites lumineuses dans sa main tremblante, vous venez de nous offrir un véritable trésor. Savez-vous qu’elles appartenaient aux plus illustres religieux de l’époque? Si nous parvenons à les semer dans une terre rouge qui ne contiendra aucune impureté, des fleurs de cristal apparaîtront et répandront un parfum si doux et mystérieux, que des effets bénéfiques s’en suivront à la surface de la terre. Chaque jour que nous respirerons ces fleurs, nous sentirons le canton d’Atlantis. Pouvez-vous imaginer ce que cela représente pour des Atlantes? Nous aurons un souvenir éternel et physique de ce monde disparu. Nous ne savons pas comment vous remercier.

- Atlantin, lui dit le missionnaire en caressant le berceau, je suis votre père et je vous ai bercé dans cet objet. Puis-je le conserver en votre mémoire?

Atlantin avala sa salive avant de répondre : “Je ne peux offrir ce berceau à Paichel mais si mon père le désire, qu’il le prenne puisque Kanapyra lui offrit celui-ci le jour de ma naissance. Je pense que vous savez combien il me sera pénible de m’en défaire à cause de sa valeur symbolique. Je vous demande simplement de le conserver précieusement.”

- Rassurez-vous, mon fils, je détiens déjà un fragment de la boule magique de Primus Tasal. Les historiens voudraient bien le posséder car il s’agit de ces quelque 400,000 ans d’histoire qui manquent à l’évolution humaine.

- Vous possédez donc une pièce inestimable puisque vous avez la preuve qu’une autre race humaine peupla la terre avant l’homme des cavernes.

- Oui, c’est cela. Votre berceau sera caché des regards envieux tout comme ce fragment oublié ou peut-être laissé là volontairement par Primus Tasal.

La découverte des cristaux arkariens éveilla un nouveau souffle d’espoir dans le coeur de ces immigrants d’un autre monde, mais Paichel savait que les Atlantes finiraient tout de même par détruire ce continent. Entre citadins de Mu, on utilisait souvent le nom de LÉMURIE, en mémoire d’un Grand-Prêtre arkarien, appelé LEMU. Les citoyens de Pya préféraient le mot ATLANTIDE pour désigner ce continent. On voit qu’il existait déjà, à l’époque, une certaine division au sein de ce peuple. Les Lémuriens et Atlantéens ne respecteraient pas les avertissements de Poséidon et on sait ce qu’il en coûtait de désobéir à une divinité aussi puissante que le dieu de la mer.

À l’époque où ce missionnaire prêcha l’abandon de l’île au nom du dieu Poséidon, il existait une nouvelle école de pensée, dirigée par le Grand-Prêtre RASNEC ASIEN. Cet ancien “ornemaniste” affecté à la décoration de la cité, devint un jour l’un des religieux les plus imposants de Mu. On le surnommait : Asien, le réformateur des textes sacrés. En effet, ce Grand-Prêtre se croyait en droit de remodeler tous les anciens textes et surtout, d’en corriger les fautes d’écriture, de style, de présentation, etc...

Lorsque Rasnec Asien apprit la découverte des graines de cristal, sa première réaction fut de douter de la véracité de cette découverte. Le missionnaire pouvait, selon lui, avoir profité d’un instant de distraction d’Atlantin pour jeter ces cristaux inconnus sur le sol. Rien ne prouvait qu’ils provenaient de cette ancienne cité arkarienne. En réalité, cet homme se fiait uniquement aux traductions et interprétations des textes sacrés qui ne mentionnaient plus l’existence de ces étranges graines de cristal. Dans les écrits originaux, les maîtres parlaient de “fleurs entités”, “d’âmes cristallisées”, de “roses lumineuses” ou encore de FLEURS D’AMOUR. Le problème avec ces maîtres, c’est qu’ils écrivaient toujours au son (phonétique) et dessinaient des symboles, soit devant certains mots importants à retenir ou après des mots qu’il fallait lire avec prudence. Pour comprendre les textes sacrés, on devait non seulement être initié aux sciences ésotériques des maîtres arkariens, mais également pouvoir écrire de manière à faire passer des secrets en parlant des tomates, des récoltes, de la pluie et du beau temps.

Rasnec Asien apprit que Paichel cherchait à convaincre Gitonial et Atlantin d’abandonner le projet du temple de Raya. Il invita ses confrères à une réunion d’urgence afin de les mettre en garde contre cet homme. Au début, les autres grands- prêtres se moquèrent de ses fausses présomptions. Pourtant, lorsque l’un des gardiens vint les informer que le berceau venait d’être offert au missionnaire par Atlantin, les sages du temple de cristal cessèrent de rire. Comment pouvait-on avoir l’audace d’offrir une telle relique à un étranger, se disaient-ils entre eux? Le gardien expliqua que le missionnaire était vraiment le père d’Atlantin.

- Il faut admettre que nos écritures parlent effectivement du père d’Atlantin qui viendra comme messager du dieu Poséidon, dit l’un des grands-prêtres d’une voix troublée.

- Mes amis s’empressa de dire Asien, le père d’Atlantin ne doit pas être pris au sens de son père naturel voyons! Ne vous laissez pas endormir par cet homme qui puait l’alcool en arrivant ici.

- Et qui serait le père spirituel d’Atlantin?, demanda un autre confrère.

- Mais qui est le père de tous les Atlantes?, répondit Asien en souriant.

- C’est le Grand-Prêtre Lemu, celui qui accompagna les fautifs dans leurs misères et qui mourut de peine en voyant des milliers d’habitants périr dans la cité Souvenance. C’est lui notre PÈRE.

- Et vous avez raison, s’empressa de répondre Asien en joignant les mains. Alors chers amis, lorsque les écritures parlent du père vêtu d’une peau de bête, ne voyez-vous pas qu’il s’agit du bon Maître Lemu, l’ancien gardien de brebis Latnahc?

- C’est vrai, il est écrit qu’il conservait toujours des boules de blé enrobées de miel afin de les offrir aux brebis qu’il rencontrait sur sa route.

Convaincus que Paichel n’était qu’un imposteur, ces religieux cherchèrent ensemble un moyen de s’en débarrasser sans provoquer de scandales.

Le Grand Superviseur de Mu fut averti rapidement qu’on complotait contre le missionnaire de Poséidon. Il jugea plus prudent de le faire sortir de la cité pendant la nuit et surtout, sans tambours, ni trompettes. Il existait un passage secret dans le vaste laboratoire du temple de cristal. C’est là qu’on travaillait à mettre au point un bouclier protecteur. Aujourd’hui, nous parlerions d’un LASER DÉSINTÉGRATEUR DE PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, CONSTITUÉES EN CHAÎNES. Les Atlantes savaient déplacer les atomes et surtout, les reconstituer en de nouvelles SYMÉTRIES. Ils utilisaient des cristaux de mégator (concentration d’énergie psychique pure) et des faisceaux lumineux de trois pierres (cristal, rubis, poudre d’oricalque) broyées ensemble et ensuite trempées dans du verre cristallisé. La pierre, taillée ensuite en forme de toupie, tournait au fond d’un bassin rempli d’eau et créait une sorte de spirale lumineuse. Alors, on descendait un long tube de verre au coeur de la spirale et il suffisait d’introduire un seul grain de mégator dans le tube pour qu’il “canalise les couleurs” de la spirale. On aurait dit que ce tube aspirait les couleurs mais en réalité, il les réunissait en un seul rayon. Le bout du tube était introduit dans une grande sphère vide et opaque. C’est à partir de là que se faisait le transfert d’énergie des cristaux en LUMIÈRE SYMÉTRIQUE. Au bout du globe de verre se trouvait un fil AIMANTÉ. Il était si fin qu’il fallait vraiment avoir une vue extraordinaire pour le voir. Lorsque la toupie tournait au fond du bassin, ce fil invisible à l’oeil nu, prenait feu. Le mot est vite dit ; en réalité, ce fil aimanté devenait un puissant rayon, capable de passer entre les atomes et les déplacer selon une SYMÉTRIE PRÉCISE. C’est pour cela qu’on lui donnait le nom de lumière symétrique.

C’est dans ce laboratoire fantastique que Paichel fut conduit par l’architecte Atlantin. Le missionnaire y attendrait sagement la nuit et quelqu’un l’introduirait alors dans le tunnel secret qui passait sous l’un des murs de la cité. Un fidèle serviteur de Gitonial s’était déjà occupé de reconduire Galette en dehors de Mu et l’avait caché dans un bois en attendant l’arrivée de son maître Paichel. Il faut dire que Gitonial et Atlantin étaient vraiment troublés par l’attitude des grands-prêtres. Comment pouvait-on désirer faire du mal au messager de Poséidon? Ces deux hommes venaient de réaliser que l’esprit pacifique atlante était devenu celui du matérialisme. Des religieux capables d’adopter de telles mesures, destinées à protéger leur prestige ne méritaient plus de porter la longue robe verte. Celle-ci, qui devait représenter l’espérance d’un peuple dans ceux qui recherchaient la VÉRITÉ et la SAGESSE, n’était plus qu’un leurre. Les longues tuniques vertes devinrent la couleur de la FOLIE. Même Atlantin n’était plus certain d’avoir envie de bâtir ce temple à Raya. Malheureusement pour lui, son génie s’était déjà fait dépasser par les jeunes architectes qu’il avait formés. Cet homme ne pouvait plus arrêter le progrès et encore moins, l’élan des jeunes scientifiques. Ils ont cru en son oeuvre, imitant ses traces, admirant ses idées de grandeur et rêvant de devenir eux aussi, des Atlantins géniaux.

Paichel fut impressionné par le laboratoire et encore plus surpris de voir un jeune scientifique lui tendre la main en disant : “Venez vous asseoir monsieur Paichel. Nous avons plusieurs heures à attendre avant la nuit. C’est moi qui vous ferai sortir de Mu. Mon nom est GET-MAAR, étudiant de l’illustre MATAR, inventeur du mange-pierre.”

Paichel se trouvait en face de son ami Rat-Mage. Il aurait bien aimé pouvoir lui parler de leur rencontre DANS LE FUTUR, mais c’était impossible. Ce jeune homme était comme tant d’autres, emballé par les expériences du maître Matar ( anagramme de Rat-Ma ) et sa tête était remplie de tendres illusions.

- La science vous intéresse, monsieur Paichel?, lui demanda le jeune homme après s’être assis devant lui.

- Oui, comme tout le monde, je pense.

- J’avoue être vraiment impressionné par votre costume. Est-ce vrai que vous voyagez dans le temps? Je sais que c’est un secret bien gardé à Mu et seulement quelques savants savent que le missionnaire de Poséidon vient de l’époque du Neandertal. Vous me fascinez!

- Hé! Bien jeune homme, lui répondit Paichel amusé par son regard envoûté, je ne suis pas seulement venu du passé mais...

- Du futur?

- Sacré-nom-d’un-chien, vous pigez vite mon cher jeune homme!

- Vous venez vraiment du futur? Racontez-moi tout.

- Je viens du moyen âge.

- Ah bon! Il existe un vieil et un moyen âge alors?

- Les hommes du futur aiment bien séparer le temps comme un fromage, lui répondit le missionnaire en riant.

- Si vous venez effectivement du futur, comment voyagez-vous au moyen âge?

- À cheval voyons!

- Sur le dos d’un animal? C’est ridicule, tout à fait inimaginable! Bientôt, nous aurons réinventé les vaisseaux spatiaux et vous me dites que les hommes voyageront à cheval?

Paichel ne tenait pas à lui répondre que les grands rêves atlantes sombreraient au fond de l’eau. Il se contenta de dire ironiquement :

- Les hommes aimeront toujours monter à cheval, que se soit dans une époque ou une autre, vous savez!

- Vous pouvez me révéler le mode d’existence des sociétés atlantes du futur? À quoi ressemblera Mu, par exemple?

- Mu? Oh! Les hommes en parleront comme du plus grand bassin d’eau au monde.

- Aquarium? Oui, vous voulez dire que nous posséderons les plus beaux spécimens de poissons au monde?

- Certainement! Ils vont même nager au-dessus de la cité.

- Magnifique, alors! Il va falloir une grande puissance d’eau et des parois très solides pour éviter d’inonder la capitale. Je pense que nous saurons bien contrôler, dans cette époque, la pression énorme de toute cette eau.

- Malheureusement, lui dit le missionnaire, je ne suis pas un scientifique pour vous expliquer comment se fera cet aquarium.

- Bien, pouvez-vous alors me dire comment vivront les petites colonies atlantes installées au pays du cristal ?

- De quel pays encore?

- Du cristal. Vous devez sûrement connaître cette colonie implantée au nord du continent AMÉRINDIEN?

- Oh! Vous voulez parler de la terre des maîtres de la forêt verte?

- Oui, elle doit être devenue la terre des Atlantes, je veux dire dans le futur?

Get-Maar parlait justement d’une colonie atlante qui suivit le maître Kanapyra dans son voyage à travers le monde. Il aurait établi un groupe d’Atlantes en Égypte et un autre au nord de l’Amérique. Dans le fragment conservé par Paichel, on parlait d’une race qui peupla l’Europe et qui aurait été gouvernée par des sages qui vivaient au GREENLAND. On doit savoir que cette terre fut recouverte de forêts vertes pendant des milliers d’années. Kanapyra voulait retrouver les vestiges de cette société des grands maîtres très puissants qui vivaient en Amérique du Nord. C’est finalement plus au sud que la colonie Atlante s’installa. On voulait du cristal et il semblerait que d’importants gisements de pierres transparentes se trouvaient sur la terre verte (connue plus tard par Nouvelle France) et que ces minéraux émettaient une étrange vibration. Kanapyra qui envoya un messager porter une missive à son frère Anakilimon, indiquait que ce cristal était toujours imbibé des vibrations laissées par les anciens maîtres de la forêt verte. Il fit donc dresser un tout petit village au coeur d’une forêt et lui donna le nom de KANA-DA. Si le mot DA voulait dire “grand” dans la langue des géants de O, il signifiait simplement DE, dans la langue de Mu. Ainsi, Kana-da était simplement le VILLAGE DE KANA.

Paichel ne tenait pas à discuter de cette colonie Atlante puisqu’elle ne fit jamais parler d’elle directement. On se demande parfois pourquoi les Amérindiens furent méconnus des blancs bien qu’ils soient “hautement civilisés” et quoi qu’en pensent les historiens qui défendent la thèse de l’évolution des peuples d’Amérique par l’influence de la prestigieuse Espagne. Elle l’était dans son domaine tout comme les Amérindiens l’étaient d’un autre point de vue. On parlera souvent des milliers de sacrifices humains pratiqués (en un seul jour) par des grand-prêtres d’Amérique du Sud. C’est un fait et personne ne doit l’oublier, tout comme les massacres pratiqués partout dans le monde. L’Inquisition ne fut pas plus divine que ces sacrifices humains qu’on offrait au soleil, à la nature et pourquoi pas, à des FORCES SUPÉRIEURES. Si certaines forces étaient d’ordres spirituels, d’autres étaient POLITIQUES. Peu importe la couleur de sa peau et le nom de sa race, l’homme passe son temps à souffrir d’un mal que seul sa sagesse pourra un jour guérir...

Get-Maar posait une foule de questions et Paichel avait vraiment envie de lui dire : “Voyons jeune homme, tu rêves d’un monde à la manière des scientifiques mais d’autres l’imaginent comme des politiciens, des hommes d’affaires ou comme des religieux. C’est quoi le monde de tout le monde? ”

Le soir vint finalement et le jeune étudiant de Matar ouvrit le mur secret. Il se trouvait derrière une rangée de vieux livres de science arkarienne. Ils étaient tout poussiéreux et probablement oubliés là par ces nouveaux maîtres scientifiques. Derrière cette bibliothèque se trouvait un long couloir éclairé par des lampes perpétuelles. C’étaient des néons phosphorescents qui transformaient l’air ambiant en source de chaleur. Le phosphore créait une lumière fluorescente et perpétuelle. Avant de partir en compagnie de son jeune guide, le missionnaire fut attiré dans un coin du laboratoire par Atlantin. Il lui dit d’une voix attristée: “Ne dites rien et faites même semblant de me serrer dans vos bras comme le ferait un père qui va être séparé de son fils.”

Paichel sentit un métal très froid se glisser dans son vêtement. Atlantin lui dit: “Il y avait deux tubes de mégator et celui-ci était le plus puissant en énergie psychique puisqu’il contrôlait le vaisseau du Grand-Maître DORGON. Conservez-le secrètement car il ne doit pas tomber entre les mains de ces jeunes scientifiques. Lorsqu’ils auront utilisé les derniers cristaux de l’autre tube pour leurs expériences sur le bouclier de l’espace, ils voudront également se servir de celui-ci pour augmenter la puissance des rayons lumineux. Un jour ou l’autre, ils finiront par s’en servir contre les géants. Mon peuple a perdu le sens des vertus naturelles et sombre lentement dans la folie du pouvoir. Lorsqu’on me demandera l’autre tube, je serai si vieux que je serai indifférent au sort que me réserveront mes ennemis. Vous serez loin d’ici et personne ne vous accusera de l’avoir emporté car je dirai que c’est moi qui l’ai jeté au fond de la mer.”

Atlantin venait d’accomplir un geste qui lui vaudrait le mépris des dirigeants de Mu. En effet, il ne croyait plus en la bonne volonté des Muriens et préféra saboter les travaux des scientifiques en faisant disparaître un tube de mégator. Paichel serra son fils dans ses bras en gémissant :

- Vous allez être condamné à mourir lorsqu’ils apprendront ce que vous avez fait, mon fils!

- Oui père, je le sais et je ne regrette rien. Je suis déjà mort depuis que je viens de réaliser que les descendants arkariens n’ont plus rien de commun avec eux.

Le temps pressait et Paichel serra son berceau sur sa poitrine afin de dissimuler la forme du tube de mégator. Lorsqu’il s’engagea dans le passage secret, il se retourna une dernière fois pour examiner Atlantin, mais l’autre s’était déjà enfermé dans son atelier de travail. Get-Maar conduisit le missionnaire dans un bois où l’attendait son brave chien Galette. Il jappa joyeusement : “Wouf de wouf, j’ai hâte de retourner trotter sur les routes, tu sais!” Une fois monté sur son chien géant, Paichel serra les mains de Get-Maar en lui disant:

- Nous nous reverrons un jour puisque je viens du futur. Est-ce que vous aimez les RATS BLANCS?

- Burr... Je déteste les rats, s’empressa de répondre le jeune homme.

- Je vois.

Paichel riait puisqu’il savait qu’il reverrait un jour son ami dans la peau d’un petit rat blanc. Le jeune scientifique le salua de la main et retourna dans le passage secret pendant que Galette disait d’un air contrarié :

- Je ne comprendrai jamais les humains qui disent « JE VOIS », alors qu’ils ne voient rien du tout.

- Allez Galette, en route vers l’inconnu!

- Je vois, wouf de wouf...

Il fallait fuir au plus vite cette cité et trouver un refuge où personne ne pourrait retrouver le missionnaire. L’homme savait qu’il devait attendre sagement l’apparition du couloir intemporel pour quitter cette époque. Galette comprit parfaitement la situation en empruntant des routes désertes qui menèrent sa trotte jusqu’à un plateau désertique. L’endroit semblait si désolé que même son compagnon lui dit d’une voix troublée :

- Bon, je t’avais demandé de me cacher quelque part et non de me conduire dans un désert.

- Maître, si l’illustre Anakilimon passa volontiers des années dans celui-ci, tu peux bien y demeurer un certain temps, n’est-ce pas?

- Anakilimon vivait ici?

- Oui, dans la caverne de glaise qu’on voit sur le flanc des collines.

Le missionnaire se sentit vraiment ému en pénétrant dans cette humble caverne où quelques meubles ornaient pauvrement l’ancien ermitage d’Anakilimon. Tout de même, certains vandales s’étaient permis de briser de la poterie et même de dessiner des choses grotesques sur les parois de la grotte. Paichel trouva plusieurs cruches vides qui contenaient du vin. Puisque l’ermite ne buvait pas d’alcool, celles-ci provenaient de fêtards nocturnes. En effet, ce lieu était devenu une belle cachette pour ceux qui n’avaient pas le droit de consommer du vin dans la cité de Mu. Étais-ce un bon endroit pour y cacher un homme qui serait bientôt traqué par les scientifiques de la cité?

- Je pense que c’est imprudent de demeurer ici, mon brave Galette. Le jour, c’est peut-être une bonne cachette, mais le soir, il se peut fort bien qu’on ne soit pas les seuls à y passer la nuit.

- Tu crois que les buveurs nocturnes vont revenir bientôt?

Paichel huma quelques cruches vides pour ensuite répondre sans détour :

- Ils ont vidé celle-ci il y a trois jours environ. Les autres sont vides depuis quelques mois.

- Tu sais cela en introduisant ton gros nez dans les cruches?

- Oui, je m’y connais en vin. Si tu veux, nous allons nous reposer le jour et nous promener la nuit. Ainsi, on ne risque pas de se faire découvrir par ces fêtards.

- Que ferons-nous toute la nuit?

- Nous observerons les étoiles s’il fait beau...évidemment. Nous veillerons toute la nuit sans faire de bruit.

- Nous ferons cela toute notre vie ou quoi?

- Non, il faut protéger avant tout ce berceau et le tube de mégator. Bientôt, je vais disparaître de cette époque. Je ne sais si cela te plairait de voyager dans le temps avec moi?

- Je sais pourquoi tu me poses cette question. Tu t’imagines sans doute que je serai malheureux si tu quittes cette île sans moi?

- C’est un peu cela. Tu es devenu mon ami et je ne voudrais pas qu’il t’arrive le moindre mal.

- Sois sans crainte à mon sujet. Je n’ai pas l’habitude de me laisser prendre dans un tas de pierres comme lorsque tu m’as secouru. Je suis un chien géant qui a besoin de beaucoup d’espace pour être libre. Comme j’ignore où tu iras, je préfère demeurer ici.

- Je vois.

- Tu vois que je vais être triste lorsqu’on va se quitter alors?

- Oui, nous serons tristes de nous quitter.

Le chien sortit de la grotte pour lui trouver de la nourriture. Il connaissait fort bien la région ce qui lui évita de chercher longtemps les grosses patates sauvages qui poussaient non loin de là. Ce champ fut jadis entretenu par Anakilimon. Non loin de l’ancien potager se trouvait une petite source qui coulait entre deux collines. La bête s’y abreuva rapidement avant de trotter vers la grotte. Le gros chien vit alors Paichel agenouillé devant une grosse pierre située à une dizaine de mètre de la caverne.

- Viens voir mon ami ce que je viens de découvrir!, s’exclama le missionnaire.

- Mais c’est un gros cailloux comme les autres, mon maître.

- Non, c’est une pierre tombale aussi modeste que celui qui repose ici.

- Le Maître Anakilimon?

- Oui, quelque chose me dit que son corps est enseveli sous cette pierre. Je ne vais sûrement pas profaner sa dépouille pour en avoir le coeur net, n’est-ce pas?

- Tu vois son corps sous la pierre?

- Non, j’en reçois les vibrations au bout de mes doigts. Tantôt, je me promenais en t’attendant et je me suis assis sur cette pierre pour me reposer. J’ai vu d’étranges images m’envahir l’esprit comme si j’assistais à des événements qui se sont déroulés ici avant la mort de ce Maître.

- Tu as vu le Maître Anakilimon?

Le missionnaire opina d’un large signe de la tête avant de répondre :

- Oui, il était très vieux et aveugle. Un autre vieil homme à la barbe blanche lui soutenait le bras en lui disant qu’il méritait bien de quitter la terre sur le dos de la fantastique licorne ailée qui apparut devant lui comme par enchantement. Anakilimon retrouva la vue et pleura de joie en fixant ce cheval d’une rare beauté. Son corps tomba mollement sur le sol, mais son âme prit place sur le dos de la monture fantastique. Le Maître avait l’aspect d’un jeune adolescent plein de vie et de santé. Il salua l’homme à la barbe blanche avant de s’élever dans le ciel comme un ange. C’était vraiment beau cette scène. Puis, j’ai vu l’étranger étendre ses mains exactement au-dessus de cette pierre et prononcer ces quelques paroles : “ Voici le tombeau d’Anakilimon, mon frère .” Son corps disparut aussitôt.

- Il l’enterra sans creuser de trou?

- Oui Galette, je pense que ce vieil homme était magicien pour accomplir un tel prodige.

- À présent que tu m’as raconté ce que tu as vu, je peux t’offrir ces grosses patates? J’ai faim.

- Moi aussi.

Paichel mangea avec appétit et s’étendit ensuite sous un arbre pour dormir un peu. Il savait qu’il devrait passer la nuit éveillé. Le chien en fit autant. Pendant leur sommeil, Primus Tasal s’approcha sans faire de bruit. Comme le missionnaire ne pouvait prendre le risque de se promener avec le tube de mégator, il lui retira habilement celui-ci de son vêtement afin de pouvoir l’apporter sur l’îlot intemporel. Par la même occasion, il lui enleva le berceau des mains avant de disparaître. C’est alors que notre homme fit un songe vraiment étrange. Les rats des souterrains de Beau-Brave entouraient leur chef Rat-Ma et celui-ci leur disait ainsi :

- Paichel et le curé Laviolette ignoreront toujours que l’un des coffres contenait les os de notre illustre architecte de Mu. Rasnec Asien n’avait pas le droit de se venger d’Atlantin en le frappant avec un bâton qu’il fit électrifier pour le rendre mortel au contact du pauvre homme. C’est un assassin indigne des scientifiques de Mu. Je m’en sens également responsable puisque j’ai inventé un mange-pierres qui servit aux ambitions de notre peuple.

- Rat-Ma, lui dit alors le petit rat blanc, tu ne pouvais savoir que ton invention allait devoir servir à des ambitions politiques et religieuses.

- Un scientifique, lui répondit l’autre, est toujours responsable de ce qu’il fait mon pauvre ami. Si mon premier mange-pierres devait servir uniquement à creuser des galeries sous la cité afin de protéger nos écrits contre les géants de l’île, j’aurais dû prévoir que des ambitieux s’en serviraient ensuite pour détruire ce continent. Le sol tremblait, des régions complètes s’effondraient, mais personne ne pouvait faire cesser ces travaux de creusage souterrain. Non, il ne fallait pas que j’invente cet instrument de malheur. Il faut admettre que nous avons été les plus dangereux inventeurs de l’Humanité. Dois-je préciser que le canon à particules devait également servir à une bonne cause? Ah! C’était tellement émouvant de s’imaginer pouvoir retourner dans le temps en pratiquant un trou dans l’intemporel, n’est-ce pas mes frères?

- Nous étions convaincus de pouvoir retourner sur Arkara avant que le seigneur Alba et le mutant Myotis puissent détruire la cité de verre, lui dit un autre rat.

- C’était noble de vouloir empêcher des fous d’agir, lui répondit Rat-Ma sans attendre. Mais vous ne comprenez pas que cela n’aurait pas dissuader les citadins de choisir Myotis comme souverain. Il est dit dans nos écrits que les Grands-Prêtres tentèrent de raisonner le peuple sans y parvenir. Nos ancêtres étaient déjà trop matérialistes pour écouter les sages comme Lemu et Kana. Nous avons quand même inventé un couloir intemporel qui n’a servi finalement qu’à fuir l’Atlantide après qu’une autre de nos inventions risquait de détruire la planète toute entière. Le rayon de la mort fut notre plus grande preuve de la bêtise des scientifiques. Nous avons encore cru bien faire en guérissant toutes les maladies de notre peuple. Mais nous savions également que le rayon pouvait détruire toute forme de vie sur la planète. Nous pensions être assez sage pour l’utiliser comme des dieux veillant sur les peuples de la terre. Quelle vanité!

- Jamais les Atlantes n’ont utilisés ce rayon pour détruire le continent, s’empressa de lui dire un autre rat scientifique.

- Par contre, il a fallu une simple petite mouche pour tromper les calculs des scientifiques, répondit le vieux rat d’une voix amère. Personne n’avait songé à cette éventualité qu’une minime déviation du rayon pouvait inverser les effets bénéfiques du laser en dard meurtrier. Qui croira qu’un simple insecte parvint à ce résultat lorsqu’il se posa sur le rubis rayonnant? Voilà une vérité que les scientifiques du futur devraient méditer avant de se fier strictement sur leurs propres calculs. Cette erreur fut la cause de cette contamination de toute une population qui devait fuir dans les eaux pour éviter de brûler sous le rayon aussi intense que le soleil. Finalement, c’est à cause d’un autre mauvais calcul si nous avons été transmutés en rat. Aucun de nous n’avait songé à ces rongeurs lorsque nous avons pratiqué cette faille intemporelle sous l’université de Mu. Nous ne pouvons nous permettre de laisser d’autres erreurs compromettre l’Humanité.

- Que faut-il faire, Maître Rat-Ma, lui demanda Rat-Mage en opinant de la tête.

- Il faut nous assurer que les scientifiques du futur ne retrouveront jamais les plans du rayon de la mort. Même si l’Atlantide n’existe plus, il se peut qu’elle soit redécouverte un jour. Si les plans sont encore à l’université, il est possible qu’ils demeurent lisibles. Le mieux est de s’assurer qu’ils n’existent plus.

- Tu veux dire qu’on devrait nous rendre en Atlantide pour les détruire avant que le continent disparaisse sous les eaux?

- Oui, Rat-mage; je me souviens parfaitement que ceux-ci étaient sur une grande table et que des techniciens les étudiaient avec soins dans le but de trouver une manière d’inverser de nouveau le rayon destructeur. C’est tout ce que je me souviens puisque je suis descendu ensuite comme vous sous l’université pour fuir le continent.

- Mais nous risquons tous d’y périr si nous arrivons justement dans les derniers moments de Mu?, lui demanda un confrère étonné. Pourquoi ne pas y arriver quelques jours avant le désastre?

- Ces plans étaient normalement conservés dans une voûte que nous ne pourrions atteindre. Le seul moment où ils seront faciles à détruire, c’est lorsque les techniciens les examinèrent peu de temps avant l’effondrement de Mu. Donc, si nous faisons vite, il se peut qu’on puisse revenir ici avant le désastre. Nous arriverons exactement sous l’université puisque c’est de là que nous sommes partis pour arriver ici. Logiquement, ce couloir devrait nous ramener rapidement à Beau-Brave après notre mission.

- Rat-Ma, tu sembles oublier que nous avons utilisé ce couloir à deux reprises depuis que nous sommes dans ces souterrains. La première fois, ce fut pour permettre à des confrères d’aller habiter en Égypte à l’époque des Grands Pharaons. Puis, nous sommes allés cacher le canon à particules dans l’un des temples de Poséidon en espérant que ce dieu comprendrait que nous désirions qu’il empêche d’autres humains de pratiquer des failles dans l’intemporel.

- Oui, nous étions très naïfs à cette époque, mon pauvre Rat-Mage. Les religions changèrent avec le temps et les temples de Poséidon sont devenus uniquement des reliques. Je souhaite uniquement que personne n’y découvre notre canon dans le futur. Maintenant, en ce qui concerne le couloir, nous savons qu’il est très fonctionnel puisque tu viens d’admettre qu’on s’est promené dans deux époques différentes avant de revenir ici.

- Ce que je crains, lui dit un autre scientifique, c’est d’arriver en Atlantide après la catastrophe. C’est facile de calculer un tel voyage qui va nous conduire plus ou moins à l’époque que nous désirons, mais de là à dire qu’il pourrait nous faire atteindre notre cible sans nous tromper d’une seule journée est une autre chose.

- J’ai passé plusieurs années à examiner le mouvement giratoire du couloir. Il est d’une précision parfaite si nous savons nous synchroniser avec son temps. Il montre toutes les époques terrestres comme sur un calendrier solaire. Il va falloir courir dans la faille sans perdre une seconde lorsque je lèverai la patte.

Le rêveur vit alors des centaines de rats sortir d’une faille lumineuse pour s’engager rapidement dans un escalier qui conduisait dans la vaste salle de l’université. Des gens paniquaient en examinant les murs se fissurer près d’un grand bassin qui contenait le rubis rayonnant. Des jets de lumière frappaient des larges fenêtres qui éclataient avec fracas. D’autres faisceaux sortaient de la voûte déchirée et s’élevaient très haut dans le ciel. On aurait dit que cette pluie meurtrière retombait ensuite sur les citadins comme un acide terrible. Les rats sautèrent sur une grande table pendant que les techniciens apeurés par le terrible rayon de la mort se faisaient projeter partout dans la grande salle. Les rongeurs grignotaient des plans avec férocités et sans s’attarder à regarder autour d’eux ce qui se passait. Des colonnes énormes tombèrent sur eux et Paichel s’éveilla en sursaut.

- Que se passe-t-il, mon maître, lui demanda le chien géant. Ton sommeil était si agité que tu m’as réveillé.

- J’ai vu la fin de l’Atlantide, lui répondit l’homme en sanglotant. J’ai vu des amis mourir. Je sais maintenant pourquoi les souterrains de Beau-Brave étaient vides lorsque j’y suis retourné un jour de tristesse.

Galette ne lui posa aucune question sur ce bourg du moyen âge. Il tenta de consoler son maître en le conduisant lentement vers la petite source pour qu’il se nettoie le visage couvert de cendres. En somme, Paichel n’avait pas rêvé, mais plutôt assisté à la fin de Mu. Les cendres sur son visage furent les seules preuves de son triste voyage dans le temps. Notre homme savait même comment périrait son fils Atlantin. Vraiment, étais-ce une bonne chose de pouvoir vivre un peu partout dans le temps?

Le soir venu, Paichel se cacha pour examiner une vingtaine d’inconnus se rapprocher de la grotte en tenant des petits flambeaux. Ils étaient silencieux et complètement nus. À la tête du cortège se trouvait Alba. Fort troublé par ces étranges personnages, le missionnaire se rapprocha de la caverne dès que ceux-ci y pénétrèrent en tenant d’énormes cruches de vin sur leurs épaules. Il serait faux de croire que notre homme y fut attiré par l’odeur de ces liqueurs aux parfums subtils. Des hommes et des femmes buvaient en silence pendant qu’Alba leur disait de profiter de ces joies d’ivresse pour lui faire des enfants. “ Je vais les éduquer pour qu’ils répandent l’odeur de notre Maître à travers le monde. Sentez les poils de Baa-Bouk, le plus puissant des Maîtres de l’univers”.

Ses fidèles l’examinèrent retirer un collier de poils de son cou et humèrent celui-ci à tour de rôle. ” Vous sentez le parfum du pouvoir, la force de notre protecteur et l’odeur de celui qui se fit craindre par les Arkariens. C’est Baa-Bouk qui sera le Maître sur terre et non le Coeur royal. Demeurez-lui fidèles puisqu’il vous accordera sa force et ses pouvoirs. Faites-lui des enfants que je vais instruire comme des Maîtres de ma secte. Elle est blanche afin de demeurer invisible dans le monde et noire puisqu’elle agira dans l’ombre à travers les siècles”.

Paichel préféra s’éloigner avec son compagnon avant qu’Alba devine sa présence. Au petit jour, il revint dans la grotte pour examiner le désordre et même les souillures laissées là par ces fêtards. Il se boucha le nez en criant :

- Maître Anakilimon, comment peux-tu laisser de tels profanateurs uriner dans ton ermitage?

- Paichel, lui répondit une voix intérieure, le temps effacera ces souillures lorsque l’Atlantide sombrera au fond des eaux. Alba vient de quitter le continent avec ses fidèles qui lui offrent des enfants qui deviendront de véritables monstres à travers les siècles. C’est cela la véritable souillure qu’il faut nettoyer. Ce parfum infecte le monde et rien ne peut en masquer la forte odeur.

Le missionnaire vit alors la faille lumineuse s’ouvrir devant lui. Galette détourna la tête en jappant :

- Conserve la moitié de notre tristesse et j’en ferai autant, mon maître. Va, tu dois partir.

- Tu auras toujours une place dans mon coeur, mon brave Galette.

- Je le vois, wouf de wouf.

Paichel disparut rapidement et le chien retourna dans le champ de patates pour dévorer celles qui risquaient peut-être de lui aider à digérer les émotions qui s’étaient logées dans sa gorge.

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